Voilà deux semaines que la loi 96 a été adoptée au Québec et le texte continue de susciter des débats enflammés. Promesse du gouvernement Legault quand il a été élu en 2019, la loi 96 vise à renforcer la loi 101 qui, en 1977, avait fait du français la langue officielle du Québec, pour l’Etat, la justice mais aussi l’enseignement, le commerce et les affaires. Connue sous le nom de “Charte de la langue française”, elle a été à l’époque l’une des lois phares et structurantes du Québec moderne, portée par le Parti québécois (souverainiste) arrivé au pouvoir en 1976 sous la direction de l’indépendantiste René Lévesque.
François Legault, Premier ministre du Québec, et Simon Jolin_Barrette, ministre de la Justice, responsable de la langue française, le jour de l’adoption de la loi 96.
N’est pas René Lévesque qui veut. François Legault, élu Premier ministre en 2018, avait promis de renforcer cette loi pour contrer le recul du français, constaté par de nombreuses études notamment sur l’île de Montréal. La loi 96 a été opportunément votée, à quelques semaines des nouvelles élections prévues en octobre 2022. Elle satisfait un électorat caquiste (la CAQ est le parti fondé par François Legault), essentiellement implanté en région, tandis qu’elle inquiète les habitants de la métropole québécoise, habitués à la diversité linguistique et culturelle.
Que dit cette loi 96 ? Elle impose des cours de français (ou en français) supplémentaires aux anglophones dans les Cegep anglophones et va geler le nombre de places dans les Cegep anglophones pour éviter que les enfants d’immigrants allophones (ni francophones, ni anglophones) choisissent automatiquement un post-secondaire anglophone. Elle prévoit que les immigrants installés depuis plus de six mois au Québec recevront les communications de l’Etat et les services publics (hormis la santé) exclusivement en français. Elle vise un affichage commercial avec « nette prédominance » du Français dès 2025. Elle élargit aussi l’application de la Charte dès 2025 aux entreprises de 25 salariés à 49 salariés et aux entreprises de compétence fédérale, comme les banques et les télécoms, qui devront donc utiliser le français avec leurs employés et leurs clients.
Pour résumer, la loi réaffirme la primauté du français dans la vie quotidienne (commerce, travail) et surtout vis-à-vis des immigrants. Et c’est là que le bât blesse pour un certain nombre d’intellectuels et de dirigeants québécois. Car le Québec, compte tenu de sa démographie – vieillissante - et de son économie - un taux de chômage tombé à 3,9% en avril, des pénuries de main-d’oeuvre criantes – a besoin de l’immigration pour l’avenir.
Selon certains observateurs, l’immigration, compte tenu de son évolution récente, serait en partie responsable de l’affaiblissement du français au Québec. Ainsi, des statistiques du ministère québécois de l’Immigration montrent qu’entre 2015 et 2019, la part des immigrants connaissant le français a baissé, passant de 58,2% à 49,8%, tandis que la part des immigrants déclarant connaître l’anglais seulement a augmenté, passant de 20,4% à 29,6%. En 2019, près de 80% des immigrants au Québec avait une langue maternelle autre que le français et l’anglais (17,6% déclaraient le français comme langue maternelle). L’Asie est maintenant le continent plus gros pourvoyeur d’immigrants au Québec (43% en 2019) suivi par l’Afrique (36%), l’Europe et l’Amérique arrivant à égalité loin derrière (10,5%).
Dès lors, il paraît assez évident que le français comme « langue parlée à la maison » recule au Québec. Mais recule-t-il comme langue parlée dans l’espace commun ? Telle est la vraie question, à laquelle la réponse est loin d’être évidente, selon la localisation géographique, le milieu social ou l’environnement culturel.
On peut se demander aussi pourquoi le gouvernement Legault n’a pas choisi tout simplement de privilégier une immigration francophone. Cela signifierait donner la priorité aux candidatures provenant par exemple de pays du Maghreb. On sait qu’elles sont très nombreuses. Le gouvernement caquiste affirme avoir augmenté à 80% (contre 50% à son arrivée au pouvoir) la proportion des immigrants parlant français choisis par le Québec. Mais il reproche au gouvernement fédéral de ne pas veiller à ce critère pour les immigrants sélectionnés directement par Ottawa. Et en profite pour réclamer la maitrise totale de sa politique d’immigration.
Certains voient dans la loi 96 un nouveau signe de repli du Québec, après la loi 21 sur la laïcité. D’autres y voient au contraire l’affirmation distinctive d’une province qui cultive sa singularité – fait français, laïcité.
Une chose est sûre : la loi 96 a tendu les relations avec les Québécois anglophones, qui se sont sentis stigmatisés, et avec le gouvernement fédéral, toujours très attentif aux droits des minorités, et notamment à ceux de la minorité anglophone au Québec. Elle a démontré aussi combien le sujet restait brûlant sur la scène politique québécoise : le Parti Québécois (souverainiste) s’est opposé au texte considérant qu’il ne va pas assez loin ; le Parti Libéral s’y est aussi opposé considérant qu’il va… trop loin.
Dans les milieux universitaires et économiques, l’inquiétude est de mise : « soyons attractifs et non coercitifs » plaident certains responsables qui craignent de voir les talents – et les entreprises - se détourner du Québec pour aller en Ontario ou en Colombie-Britannique. « Il faut donner envie de parler français » renchérissent d’autres, rappelant que le français incarne des valeurs humanistes et culturelles fortes. Un français nécessaire mais pas suffisant : « le français est une force, à condition de maîtriser l’anglais », lâche ainsi un dirigeant.
Selon les résultats d’un sondage commandé par le Parti Québécois à la firme Léger, publiés le 3 juin, seulement 22% des Québécois pensent que « la loi 96 sera suffisante pour renverser la tendance du déclin du français au Québec ».
Calvin Veltman, socio-linguiste retraité de l’Uqam, pense également que cette loi n’aura pas d’effet sur les équilibres linguistiques au Québec, mais pour des raisons structurelles qu’il explique ici. Il ne croit pas au recul du français au Québec.
La complexité du sujet ne peut s’épuiser en une chronique. Le sujet du français, et plus généralement des langues, est hautement sensible au Canada. Un fidèle lecteur de cette infolettre a ainsi réagi à la chronique de la semaine dernière consacrée au livre de Jean-Michel Demetz, sous-titré “Géographie de l’utopie”. Pour ce lecteur, le bilinguisme canadien est davantage une hypocrisie qu’une utopie : “la vie quotidienne se déroule surtout ou uniquement en anglais à l’extérieur du Québec” nous écrit-il. Raison de plus pour certains Québécois de protéger leur langue autant que possible.
AGENDA
Etudier, s’installer, travailler, vivre au Canada, salon organisé par Air Canada, auberge de jeunesse Stéphane Hessel, 235 boulevard Paul Painlevé, Lille, 9h-18h
Je cherche un job au Canada, webinaire organisé par Mon projet au Canada avec Desjardins, mercredi 8 juin, 13h
Vivre et travailler au Canada et au Nouveau-Brunswick, session d’information organisée par l’ambassade du Canada en France, Centre Culturel Canadien, 130 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris, jeudi 9 juin, 15h-17h
Information Jeunesse Destination Québec, atelier d’information sur les programmes de l’OFQJ, CRIJ Hauts-de-France, 2 rue Edouard Delesalle, Lille, jeudi 9 juin, 16h-18h
Journées Mobilité Canada, organisée par l’ambassade du Canada en France, Centre des Congrès de Lyon, samedi 11 juin, 10h et 15h
Journées Mobilité Canada, organisée par l’ambassade du Canada en France, Hôtel Mercure Toulouse Centre Compans, dimanche 12 juin, 15h-19h
Mobilité Jeunesse, atelier d’information en ligne, organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse, lundi 13 juin, 15h
Journées Québec France, du 13 au 18 juin, en ligne
Questions-réponses sur les stages pour les demandeurs d’emploi au Québec, live Instagram organisé par l’OFQJ, mardi 14 juin, 16h30
Travailler et s'installer au Québec, séance d’information en ligne, organisée par le ministère québécois de l’Immigration, mardi 28 juin, 18h
Travailler et s'installer au Québec, séance d’information organisée par le ministère québécois de l’Immigration, mercredi 29 juin, Cité des Métiers de la Villette, 75019 Paris, 17h
Regroupement familial 12 286 immigrant sous la responsabilité du gouvernement du Canada. La plupart anglophone le pourquoi des demandes du Québec.