Mon dernier billet sur la langue française au Canada a suscité un grand nombre de réactions de votre part, et d’abord des questions sur les chiffres évoqués. j’en profite pour rappeler que la plupart des chiffres officiels disponibles datent du recensement de 2016 ; un nouveau recensement est prévu en mai 2021. Statistiques Canada publie toutefois sur son site une actualisation des principales données, selon lesquelles
- la population du Canada s’établit à 38 millions d’habitants (au 1er juillet 2020)
- la population du Québec s’établit à 8,5 millions d’habitants (au 1er juillet 2020)
En revanche, pour ce qui est de la répartition linguistique, il faut se contenter des chiffres de 2016 selon lesquels, sur 34,7 millions de Canadiens, 7,15 millions déclaraient le français comme langue maternelle. Parmi eux, 6,2 millions de Québécois (sur un total de 8 millions à l’époque). Soit environ 1 million de francophones hors Québec.
crédit: Michael Whitney
D’après ce dernier recensement, le Canada comptait alors 16,1% d’immigrants soit 1/6e de la population. Parmi le 1,2 million d’immigrants récents, 24 155 venaient de France. La France se classait ainsi au 9e rang des principaux pays de naissance des immigrants récents, juste derrière le Royaume-Uni (et devant… la Corée du Sud). C’est le seul pays francophone dans les 10 principaux pays pourvoyeurs d’immigrants au Canada dans la période récente. Un motif d’inquiétude sans aucun doute pour les défenseurs de la francophonie canadienne.
Près de 25 000 de nos compatriotes ont donc choisi entre 2010 et 2016 de s’installer au Canada. Au 1er janvier 2020, quelque 100 000 Français au total étaient inscrits sur les registres consulaires dans le pays.
La nouvelle vague d’immigration française
Ce chiffre cache évidemment des réalités très diverses. J’ai été interrogée cette semaine par un chercheur de l’université Concordia à Montréal qui mène une passionnante étude sur la « nouvelle vague » d’immigration française au Canada depuis les années 2000. Il avait une série de questions très pertinentes et en cherchant à y répondre, j’ai réalisé combien, en effet, la situation avait évolué ces dernières années. Et combien aussi l’année 2020, avec la pandémie, risque de marquer un tournant majeur, quelles que soient les velléités du gouvernement canadien d’accroître l’immigration.
Depuis bientôt vingt ans que je m’intéresse aux Français qui partent au Canada, j’ai fait plusieurs constats
- La puissance d’attraction du Canada auprès de nos compatriotes ne faiblit pas. Liens historiques, proximité culturelle et linguistique (on y revient), mythologie des grands espaces et du Nouveau monde. Immigrer au Canada c’est, pour les Français réputés casaniers et peu aventureux, s’offrir le souffle de l’inconnu en terre… à moitié connue.
- La volonté d’Ottawa de montrer aux Français que Canada = Québec est une équation réductrice. Le gouvernement fédéral a beaucoup investi pour expliquer qu’une immigration francophone est possible hors Québec; ses campagnes de promotion ont contribué à conforter le « rêve canadien » des Français. D’autant que le pays à la feuille d’érable apparaît régulièrement dans le top 3 des destinations où il fait bon vivre et travailler, selon les études publiées par des banques ou des cabinets de conseil.
- La résilience de l’économie canadienne, qui a notamment bien mieux résisté que l’économie française à la crise de 2008, a représenté aussi un important facteur d’attraction dans les années 2010, pour des Français confrontés chez eux au chômage de masse. Dès les années 2000, les politiques canadienne et québécoise d’incitation fiscale à l’embauche dans les secteurs des nouvelles technologies (jeux vidéo, biotech, etc.) avaient favorisé la venue de talents étrangers.
- La réputation d’ouverture de la société canadienne a séduit de nombreux jeunes Français issus de l’immigration qui peinaient à trouver leur place dans la société française à cause de leurs origines, leur couleur de peau ou leur nom.
- L’appétit pour la mobilité internationale d’une génération d’étudiants français élevés dans la culture Erasmus (les échanges universitaires intra-européens) s’est épanoui pendant des années (jusqu’en 2015) grâce à l’accord qui permettait aux jeunes Français de payer les mêmes frais de scolarité que les jeunes Québécois, leur permettant ainsi de s’offrir à moindre coût un parcours universitaire en Amérique du nord.
- En 2012, après l’élection de François Hollande et la mise en œuvre de mesures pénalisantes à l’encontre des entrepreneurs, le Canada est apparu (après Londres) comme une destination privilégiée pour développer un business, la proximité des Etats-Unis (avec lesquels le Canada dispose d’un accord de libre-échange) lui conférant un avantage indéniable.
- Si la géographie est un atout intrinsèque du Canada, la géopolitique en a fait un refuge structurel (le pays accueille par tradition de nombreux réfugiés chaque année) et conjoncturel : après les attentats de janvier et novembre 2015 en France, de mars 2016 en Belgique, le Canada est apparu aux yeux des Européens comme un pays davantage à l’abri de la menace terroriste ; après l’élection de Donald Trump en 2016, il est apparu aux yeux du monde comme le seul endroit encore ouvert aux étrangers en Amérique du nord.
L’année 2020 va-t-elle tout changer ?
Avec plus de 409 000 cas recensés au 5 décembre et plus de 12 500 morts (essentiellement au Québec et en Ontario), le Canada n’a pas été épargné par la pandémie. Le pays est toutefois loin des tristes records des Etats-Unis ou de l’Europe. Il pointe au 30e rang “seulement” sur les 40 pays les plus touchés par le Covid-19. La faible densité moyenne de la population contribue sans aucun doute à cette « performance ». L’Ile-du-Prince-Edouard, le Nunavut et les Territoires du nord-ouest ne déplorent ainsi aucun décès pour l’instant.
Voilà une raison supplémentaire qui pourrait attirer des candidats à l’immigration. Mais la fermeture des frontières, prolongée jusqu’au 21 janvier 2021, ne va pas faciliter l’entrée de nouveaux arrivants. De plus, la pandémie a profondément ralenti le traitement des dossiers : selon le journal La Presse, du 1er janvier au 15 mars 2020, 81 963 personnes ont obtenu un visa de résidence permanente ou temporaire. Du 16 mars au 31 août, le chiffre est tombé à 38 652, du fait du confinement. Soit un (petit) total de 120 615 heureux élus en huit mois. A fin août, près de 440 000 dossiers étaient en attente. Pour la première fois cette année, les quotas fixés en France pour le fameux Permis Vacances Travail (PVT, à destination des 18-35 ans) n’ont pas été remplis : seules 5 265 invitations ont été envoyées pour 7 100 visas offerts.
Conclusion : si l’attraction des Français pour le Canada ne se dément pas, les candidats au départ devront faire preuve d’encore plus de patience qu’habituellement. La situation actuelle – menace sanitaire et restrictions de voyage – met à l’épreuve le rêve canadien de nombreux francophones. Il constitue en même temps un test inédit pour la très populaire « tentation canadienne ».
A suivre cette semaine
Etudier, suivre une formation, travailler au Canada, webinar organisé par AEF Info dans le cadre du salon Nouvelle Vie Pro, mardi 8 décembre, 11h
Cop 21, cinq ans après, regards croisés Canada-France, conférence en ligne organisée par l’ambassade du Canada en France, avec Catherine McKenna et Laurent Fabius, mardi 8 décembre, 18h
Implanter une entreprise au Québec, webinaire organisé par Québec en tournée, mardi 8 décembre, 20h
Covid-19, impact sur l’immigration, webinaire organisé par la Citim, mardi 8 décembre, 17h heure de Montréal
Se perfectionner ou se réorienter au Québec, webinaire organisé par Québec International et l’Office franco-québécois de la jeunesse, mercredi 9 décembre, 16h30
Contes inuit au temps des fêtes, “L’ourse transformée en étoile”, organisé par le Centre Culturel Canadien à Paris, en ligne, mercredi 9 décembre, 18h
Mobilité des professionnels entre l’Europe et le Canada, webinaire organisé par le cabinet Immetis, jeudi 10 décembre, 16h
Le domaine du génie conseil recrute, webinaire organisé par la Citim, jeudi 10 décembre, 11h30 heure de Montréal
BONJOUR ,le Québec, comment alerter les autorités sur les cas des dossiers de demande de résidence permanente qui sont en attente et ne bénéficient plus de la couverture sociale ,même en travaillant dans les commerces essentiels,en première ligne,en étant sur le territoire depuis 18 mois avec enfants .Quel désarroi pour eux! Merci, si vous avez une réponse.
On parle peu des expatriés qui sont rentrés en France depuis le début de la pandémie, je serais curieux de connaître le nombre habituel comparé à celui depuis le covid.