Chères lectrices, chers lecteurs d’Attache ta tuque. Je suis ravie de vous retrouver au terme d’une longue mais nécessaire pause estivale. J’avais ôté ma tuque durant ces mois d’été, mais l’actualité, elle, n’a pas pris de vacances et le Canada s’est trouvé sous le feu roulant des projecteurs…
La tempête Fiona a déferlé sur le e Canada atlantique samedi 24 septembre, causant de très importants dégâts en Nouvelle-Ecosse, sur l’Ile du Prince-Edouard et à Terre-Neuve. Crédit : Canadian Hurricane Center.
Cela a commencé avec la visite historique du pape François fin juillet pour demander pardon aux autochtones pour les mauvais traitements subis durant un siècle par des milliers d’enfants envoyés de force dans des pensionnats tenus pour la plupart par des religieux. D’Edmonton (Alberta) à Iqualuit (Nunavut) en passant par Québec et le sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, le pape n’a pas ménagé ses efforts et ses mots pour exprimer les regrets et les excuses de l’Eglise. Mais ce n’est que dans l’avion du retour, vers le Vatican, qu’il a reconnu un “génocide”. Rappelons que la Commission Vérité et Réconciliation avait elle parlé de “génocide culturel” quand elle avait remis son rapport en décembre 2015. Les milliers d’autochtones qui ont assisté aux messes célébrées par le pape durant son périple auraient sans doute aimé que ces mots soient prononcés sur le sol canadien. Pour comprendre les attentes de ceux qu’on nomme désormais les “survivants”, je ne peux que vous encourager à lire ce reportage de mon confrère Jean-Michel Demetz paru dans Le Pèlerin. On y rencontre Jeannette Siméon, enlevée à ses parents à l’âge de cinq ans; elle ne les retrouva que sept ans plus tard. Son histoire avait déjà été évoquée dans un autre article par l’écrivain d’origine innue Michel Jean et dans son livre Maikan. Ce dimanche, à Vincennes, le festival littéraire America proposait une conférence intitulée “Canada, l’envers du décor” pour revenir sur ce drame à la fois historique et intime d’un pays qui aime à se présenter comme une terre d’accueil et comme le champion des droits de l’Homme.
Le Canada serait-il en train de devenir un pays comme les autres ? De terribles faits divers ont montré que la violence n’épargne pas les Canadiens qui ont longtemps eu le sentiment d’être préservés, contrairement à leurs voisins américains. Fusillades à Montréal, tuerie à l’arme blanche en Saskatchewan, les questions sécuritaires ont agité les médias durant tout l’été. De là à expliquer la victoire de Pierre Poilievre dans la course à la chefferie du Parti conservateur canadien… Largement vainqueur face à l’ancien Premier ministre québécois Jean Charest, ce quadra élu pour la première fois député à 25 ans (et systématiquement réélu depuis), ministre sous le gouvernement Harper de 2013 à 2015, capitalise sans vergogne, et avec un certain talent, sur les colères populaires : contre les restrictions sanitaires, contre la limitation des énergies fossiles, contre la taxe carbone, contre les dépenses publiques, etc. Il incarne une droite conservatrice, aux accents parfois trumpistes, un comble au Canada. Le pays serait donc lui aussi perméable à la tentation populiste ? On avait déjà évoqué cette crainte lors de l’élection de François Legault au Québec en 2018. Si les éditorialistes canadiens soulignent la radicalité de Pierre Poilièvre, ils ne manquent pas de relever non plus son éloquence (d’origine fransaskoise, il s’exprime aussi bien en français qu’en anglais) et son charisme. De quoi donner un coup de vieux au Premier ministre libéral Justin Trudeau, au pouvoir depuis maintenant sept ans, et usé par des crises successives.
Le jour même de l’élection du nouveau chef du Parti conservateur canadien, le Canada s’est vu proclamer un nouveau roi : après le décès d’Elizabeth II, le 8 septembre, Charles III a été officiellement intronisé roi le 10 septembre, et par là-même le Canada a changé de chef d’Etat. Une page se tourne, mais Justin Trudeau s’est empressé d’assurer qu’il n’était pas question de débattre de la place de la monarchie dans le système politique canadien : “c’est tellement un système qui fonctionne, qui est parmi les meilleurs, les plus stables dans le monde, ce n’est pas une priorité”. On le comprend : poser la question d’un changement de système constitutionnel, ce serait ouvrir la boite de Pandore, car de facto poser la question de la place du Québec dans la confédération canadienne … Le Québec, l’une des rares provinces, où les hommages à la reine défunte n’ont pas été unanimes. Le chef du Parti québécois (souverainiste) s’est ainsi indigné qu’on mette les drapeaux en berne…
La campagne pour les élections provinciales québécoises prévues le 3 octobre s’est cependant concentrée sur des sujets beaucoup plus terre à terre : l’état du système de santé, la hausse des prix (l’inflation était de 7,3% en juillet), la pénurie de main-d’oeuvre dans de nombreux secteurs (de la restauration à la santé en passant par les nouvelles technologies)… Le Premier ministre sortant François Legault joue sa réélection, et au vu des sondages cela ne devrait pas être trop difficile… Même si la cheffe du Parti Libéral, Dominique Anglade, s’est montrée plus à son avantage dans le deuxième débat des chefs télévisé. Mais ce week-end, la campagne a été suspendue en raison de la tempête Fiona qui s’est abattue sur la côte est du pays, causant de terribles dégâts. Un douloureux rappel que le Canada n’est pas à l’abri des conséquences du changement climatique : si l’automne est traditionnellement la saison des cyclones, le réchauffement climatique (et donc celui de la surface des océans) accroît selon les scientifiques la gravité de ces phénomènes météorologiques extrêmes. Déjà en 2021, selon Environnement Canada, “les Canadiens ont subi un flot de phénomènes météorologiques extrêmes” jamais vu depuis un quart de siècle : dôme de chaleur puis déluges en Colombie-Britannique, sécheresse et feux de forêt. Un sujet pourtant peu évoqué dans la campagne électorale québécoise… Cette année, un autre record a été battu : depuis 1968, jamais la couverture de glace dans l’océan Arctique n’avait autant diminuée… libérant plus largement le passage du Nord-Ouest, cette fameuse voie maritime utilisable seulement l’été, et très convoitée. Le Canada considère qu’elle relève de ses eaux intérieures quand d’autres puissances y voient des eaux internationales. Mais c’est une autre histoire, que nous aurons sans aucun doute l’occasion d’aborder dans une prochaine chronique.
Bonne rentrée à tous !
Salut