Chère lectrice, cher lecteur, j’ai beau attacher ma tuque avec d’la broche, ces dernières semaines ont été si chargées que je n’ai guère eu le loisir de vous écrire. Et pourtant, il s’en passe des choses au Canada. Ce que je retiens du mois écoulé ? C’est d’abord un chiffre : le pays vise 500 000 immigrants par an à horizon 2025 a annoncé début novembre le ministre canadien de l’Immigration. Un seuil jamais atteint jusque là : 465 000 immigrants sont attendus en 2023 et 485 000 en 2024. L’objectif est de lutter contre le vieillissement de la population mais aussi et surtout de remédier aux pénuries de main-d’oeuvre qui frappent de nombreux secteurs - la construction, la santé, l’hôtellerie-restauration, l’agriculture. D’ailleurs le ministre a précisé que 60% de ces immigrants seront admis dans la catégorie “immigration économique”.
Festival caribéen junior de Scarborough (Ontario) le 16 juillet 2022. Crédit Adam Scotti (CPM).
Cette volonté était exprimée dès octobre 2016 par le Conseil consultatif en matière de croissance économique créé en mars de la même année pour apporter au gouvernement des avis sur la stratégie de croissance à adopter. Dans son premier rapport, l’une des trois recommandations était d’”attirer les talents dont le Canada a besoin grâce à l’immigration”.
Aujourd’hui le Canada compte un peu plus de 39 millions d’habitants; 23% d’entre eux sont des immigrants : c’est la part la plus élevée parmi les pays du G7. Ce groupe qui réunit les sept pays les plus industrialisés du monde inclut le Canada depuis 1976. Voilà un pays développé qui affiche des ambitions de pays émergent dans sa volonté de croissance de sa population. Ainsi, si les cibles officielles d’immigration sont atteintes, les immigrants pourraient représenter 29 à 34% des Canadiens d’ici 2041.
Un tiers de la population d’origine immigrante, voilà qui change la physionomie d’une nation. D’abord dans les équilibres entre province. Le Québec, qui de son côté veut limiter le nombre d’immigrants sur son territoire à 50 000 par an, devrait mécaniquement voir son poids baisser dans la confédération canadienne. Il tomberait en-dessous de 20% alors qu’il est à l’heure actuelle d’environ 22%. Ensuite, dans la dimension culturelle, car ces nouveaux habitants proviendront majoritairement d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie.
Ces nouveaux visages du Canada on en connaît déjà un certain nombre. L’actuel cabinet Trudeau (le gouvernement fédéral) compte ainsi plusieurs ministres issus de l’immigration : Mary Ng (Commerce, exportations, développement économique) née à Hong Kong; Ahmed Hussen (Logement, diversité et inclusion), arrivé de Somalie à l’âge de 16 ans; Harjit S. Sajjan (Développement international) né en Inde et arrivé au Canada à l’âge de 5 ans; Pablo Rodriguez (Patrimoine canadien), né en Argentine; Omar Alghabra (Transports) d’origine syrienne, né en Arabie Saoudite; Helena Jaczek (Services publics), d’origine polonaise, née à Londres et arrivée à 12 ans au Canada; Kamal Khera (Aînés), née à Delhi. Mais c’est aussi Fady Dagher, le tout nouveau chef de la police de Montréal '(SPVM), premier immigrant à avoir été nommé à ce poste il y a quelques jours : né en Côte d’Ivoire de parents d’origine libanaise, il avait travaillé pendant 25 ans au SPVM, où il avait commencé comme simple agent, avant d’être nommé en 2017 à la tête du Service de police de l’agglomération de Longueuil. Ou encore parmi les nouveaux visages de l’Assemblée nationale du Québec élue le 3 octobre dernier, celui de Alejandra Zaga Mendez, née au Pérou, arrivée au Québec à l’âge de 14 ans. Sans oublier les écrivains Dany Laferrière, Kim Thuy, Neil Bissondath, l’humoriste Boucar Diouf, le chanteur Corneille et bien d’autres encore…
Cette diversité culturelle fait la richesse du Canada qui parvient jusqu’ici, sans heurt, à fédérer nouveaux résidents et habitants de plus longue date autour des mêmes valeurs : tolérance, ouverture, opportunités et prospérité. Déjà aujourd’hui, plus de 40 % des Canadiens sont immigrants ou enfants d’immigrants. Si les seuils d’immigration peuvent faire débat dans le pays, ou dans une province comme le Québec, l’idée même d’immigration n’est pas discutée.
Le Canada pourrait même afficher des ambitions démographiques plus élevées : 100 millions d’habitants à l’horizon 2100, tel est le plaidoyer de l’Initiative du siècle, une association qui regroupe des leaders d’opinion de l’Ontario et des Prairies, issus des milieux économiques, universitaires et caritatifs. Ils militent pour une planification de la croissance démographique du pays. “Notre prospérité est fragile”, peut-on lire sur le site de l’Initiative du siècle : “Notre population vieillit, nos effectifs diminuent. Notre croissance économique est liée à notre croissance démographique. Notre croissance démographique est liée à notre qualité de vie.” Dès lors la seule solution, selon eux, est d’avoir une main-d'œuvre plus nombreuse pour créer davantage d'activité économique et dégager plus de ressources, notamment pour financer les programmes publics, mais aussi pour peser dans le monde. Or avec un taux de fécondité d’1,5 enfant par femme, le Canada est loin du taux de 2,1 nécessaire pour maintenir son niveau de population. Augmenter les niveaux d’immigration apparaît ainsi comme une solution incontournable pour atteindre le fameux chiffre de 100 millions d’habitants en 2100.
L’immigration, solution économique, c’est une évidence. Ainsi, les immigrants sont deux fois plus susceptibles de créer une entreprise que les Canadiens. Et dans un pays qui affiche actuellement un million de postes vacants, la main-d’oeuvre étrangère n’est pas une option (comme d’ailleurs le gouvernement français est en train de le réaliser avec la création du titre de séjour “métiers en tension” prévue par la prochaine loi sur l’immigration).
L’immigration, solution démographique, cela prête davantage à discussion : les immigrants font-ils vraiment plus d’enfants que les Canadiens ? Jusqu’à quel point leur intégration dans la société canadienne ne les conduit elle pas à adopter les mêmes modes de vie ? Et donc à profiter d’un certain confort plutôt que d’agrandir leur famille ? D’autant que l’immigration crée aussi une pression à la hausse sur les prix de l’immobilier dans les grandes villes.
Enfin, pour atteindre ne serait-ce que son objectif de 500 000 immigrants en 2025, le gouvernement fédéral devra rapidement mettre à plat le fonctionnement de son administration : à ce jour, ce sont les délais extrêmement longs de traitement des dossiers qui freinent l’entrée sur le territoire des candidats à l’immigration. Et pour éponger les piles de dossiers en attente, il ne suffira pas d’embaucher du personnel, il faudra aussi améliorer l’efficacité des processus informatiques, pour éviter notamment que les détenteurs de permis temporaire arrivant à expiration soient obligés d’aller faire '“le tour du poteau” à la frontière américaine afin d’obtenir leur nouveau statut migratoire. Le traitement numérique des demandes n’étant pas satisfaisant, certains se résolvent à aller présenter une demande physique de visa. Mais pour cela il leur faut se rendre à un point d’entrée du Canada, donc sortir du pays… le plus simple étant de se rendre à la frontière américaine où les douaniers sont désormais débordés devant l’afflux de travailleurs ou étudiants étrangers utilisant ce stratagème pour obtenir leur nouveau permis. Un visage de désorganisation dont le gouvernement fédéral se passerait bien.
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A suivre toujours, les séances d’information, en ligne ou en présentiel, du ministère québécois de l’Immigration, pour les candidats en Europe et en Afrique.
Sans oublier les webinaires gratuits du cabinet Immetis, les ateliers d’information de l’Office franco-québécois pour la Jeunesse.