La question du français au Québec continue de faire des vagues, depuis l’adoption de la loi 96 dont j’ai parlé dans la dernière édition d’Attache ta tuque. Vous avez été plusieurs à réagir, notamment pour soutenir cette loi. Andrée Batty la considère ainsi “essentielle pour assurer la pérennité du français au Québec” mais dit-elle, “encore faudrait-il que la qualité du langage y soit associée partout”. Beaucoup, comme Claire Thivierge, expriment le sentiment que “le bilinguisme canadien est un leurre” : l’anglais domine et le français doit s’imposer par la contrainte.
Certains d’entre vous ont souligné à juste titre le rôle des entreprises. On se souvient de l’émoi provoqué en novembre dernier par les déclarations du patron d’Air Canada, dont le siège est à Montréal, assumant ne pas parler le français et pouvoir très bien s’en passer pour vivre à Montréal. Depuis la fin de la semaine dernière, c’est une autre entreprise qui est dans le collimateur, après des révélations de Radio-Canada : l’organisateur des Francofolies de Montréal, le célèbre festival de la chanson francophone qui s’est tenu du 9 au 18 juin, est soupçonné de faire un usage grandissant de l’anglais, un comble pour cet événement censé faire rayonner la langue française !
Le Premier ministre du Québec François Legault (à gauche) avec Simon Jolin-Barrette, qu’il vient de nommer ministre de la Langue française. Crédit : gouvernement du Québec.
Mais l’économie a ses lois que la culture ignore : l’Equipe Spectra, société québécoise qui pilote les Francos, a été rachetée en 2020 par une entreprise américaine. Et dans le monde du spectacle, comme dans celui de l’aérien, l’anglais est la langue dominante… Dans une tribune publiée le 29 mai dans Le Figaro, le politologue Jean-Frédéric Légaré-Tremblay s’étonnait de voir que 27 des 50 entreprises québécoises désignées championnes de la croissance par le magazine L’Actualité portaient un nom anglais… Difficile de s’exporter si on n’affiche pas une identité incarnée par un idiome international ? Le Cirque du Soleil a démontré le contraire mais apparemment il ne fait guère d’émules…
Néanmoins, le Québec veut croire qu’il peut gagner cette bataille du français. La loi 96 prévoit notamment le renforcement des pouvoirs de l’Office québécois de la langue française, gendarme de la linguistique, qui va embaucher une centaine de fonctionnaires supplémentaires. L’Office va d’ailleurs enquêter pour vérifier que la loi est respectée au sein des Francos. Le Québec a aussi créé pour la première fois de son histoire un ministère de la Langue française : il a été confié à Simon Jolin-Barrette, déjà en charge du portefeuille de la Justice. Le jeune ministre - il a 35 ans - spécialiste des missions délicates - il a déjà porté la controversée loi sur la laïcité - sera à Paris cette semaine, où il devrait expliquer devant l’Académie française la démarche et les efforts de la Belle province pour protéger le français. Sa fierté ? Avoir fait inscrire dans la Loi constitutionnelle canadienne trois nouvelles phrases : « Les Québécois et les Québécoises forment une nation. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. »
Le gouvernement du Québec veut une administration provinciale irréprochable, qui évite de dériver vers un “bilinguisme institutionnel” (basculer vers l’anglais quand le citoyen ne comprend pas le français). Il veut aussi que les nouveaux arrivants choisissent le français plutôt que l’anglais comme langue d’intégration. Un vrai défi, surtout à l’heure de la pénurie de main d’oeuvre. Soit le Québec continue d’ouvrir largement ses portes aux immigrants, quelle que soit leur origine, et il prend le risque de voir le français menacé, notamment sur l’île de Montréal. Soit il sélectionne les nouveaux arrivants en priorité sur le critère de la langue (c’est entre autres le sens de la demande du Premier ministre François Legault à Ottawa d’avoir la main sur toute l’immigration au Québec et pas seulement sur l’immigration économique), il restreint alors les possibilités d’immigration et au final obère sa capacité de croissance… et donc de maintien du français face à la puissance de l’anglais sur le continent américain. Un sacré dilemme… Début juillet se tiendront à Québec les premiers Rendez-vous d’affaires de la francophonie, l’occasion d’aller chercher des alliés à l’extérieur des frontières, en espérant faire du français un levier de développement transcontinental de l’activité.
Cette question de la croissance économique devient d’ailleurs un casse-tête au Québec où le manque de main-d’oeuvre menace de conduire des entreprises à la faillite, car elles sont obligées de refuser les commandes qu’elles ne peuvent pas honorer faute de bras. Certaines ont trouvé la parade : elles embauchent des (très) jeunes ! Car il n’y a pas au Québec d’âge minimum pour travailler… Si l’enfant a moins de 14 ans, il faut seulement qu’il ait une autorisation écrite de ses parents, et que cela ne l’empêche pas d’aller à l’école (elle est obligatoire jusqu’à 16 ans). Il n’est pas rare en ce moment de voir dans les commerces ou les restaurants des adolescents au service, pour emballer les courses des clients ou apporter les plats. Autant dire que les employeurs ne leur demandent pas quelle langue ils parlent ni comment ils la parlent - une des grandes inquiétudes dans la province est aussi la baisse de qualité de l’expression française, comme en témoignait plus haut André Batty- avant de les solliciter. Ils ont trop besoin d’eux ! L’économie a ses lois que la culture ignore…
AGENDA
Conférence sur l’immigration au Québec, séance en ligne de questions-réponses avec le cabinet Nadia Barrou Avocate, organisée par la Citim, mardi 21 juin, 16h30 heure de Montréal
Travailler et s'installer au Québec, séance d’information en ligne, organisée par le ministère québécois de l’Immigration, mardi 28 juin, 18h
Comment demander un permis de travail temporaire au Canada ?, webconférence organisée par l’ambassade du Canada au Maroc, mardi 28 juin, 19h
De la résidence temporaire vers la résidence permanente au Québec, webinaire organisé par la Citim, mardi 28 juin, 16h30 heure de Montréal
Travailler et s'installer au Québec, séance d’information organisée par le ministère québécois de l’Immigration, Cité des Métiers de la Villette,
Paris 19e, mercredi 29 juin, 17hLes séjours collectifs de remobilisation professionnelle au Québec, atelier en ligne organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse, jeudi 30 juin, 10h
Vivre en français en Colombie-Britannique, webconférence organisée par le ministère canadien de l’Immigration, mardi 5 juillet, 17h