C’est une espèce apparemment rare qui fait fantasmer Ottawa et Québec, pour une fois d’accord sur l’objectif. L’immigrant francophone est au coeur des stratégies d’immigration du gouvernement fédéral comme de celles de la Belle province. Pour des raisons bien différentes. François Legault, le Premier ministre québécois, veut éviter la “louisianisation du Québec” ainsi qu’il l’avait formulé lors du congrès de son parti en mai dernier. Justin Trudeau, le Premier ministre fédéral veut quant à lui maintenir un minimum de francophones hors Québec, pour préserver le caractère bilingue du pays et éviter que le Québec se présente comme seul pôle francophone du Canada.
Clare, en Nouvelle-Ecosse, fait partie des 14 communautés francophones accueillantes identifiées au Canada et soutenues financièrement (crédit IRCC).
Résultat : l’un et l’autre font les yeux doux aux candidats francophones. Ainsi, à la fin du mois de septembre, le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a publié un document sur la stratégie “visant à accroître les transitions vers la résidence permanente”, document dans lequel il rappelle l’importance de l’immigration francophone pour le pays : celle-ci doit atteindre 4,4% du total de l’immigration au Canada (hors Québec) d’ici 2023, soit environ 18 000 immigrants francophones sur les quelques 450 000 que le pays prévoit d’accueillir. Cela peut paraitre peu, mais il faut se souvenir qu’en 2020 les dix principaux pays d’origine des immigrants au Canada étaient, dans l’ordre, l’Inde, la Chine, les Philippines, les Etats-Unis, le Nigéria, le Pakistan, la Syrie, la France, l’Iran et le Brésil. Parmi ces 10 pays, une seule nation francophone, qui a fourni 4 605 nouveaux résidents permanents, beaucoup ayant choisi… le Québec.
En 2020, seuls 5 756 résidents permanents francophones ont été admis au Canada (à l’extérieur du Québec), d’après le rapport annuel déposé au Parlement par le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada; plus de la moitié étaient des citoyens de la France, du Maroc et de l’Algérie. L’année 2020 fut atypique en raison de la pandémie (seulement 185 000 résidents permanents admis). Néanmoins, tripler ce nombre de nouveaux résidents permanents francophones dès l’an prochain ne va pas être une mince affaire. Pour y parvenir, Ottawa entend d’abord assouplir le système Entrée Express pour mieux répondre aux besoins du marché du travail et pour une sélection “fondée sur des critères tels que les compétences linguistiques en français, des diplômes précis, une expérience de travail propre à une profession, le travail au Canada ou d’autres liens avec le Canada”. En 2020, le ministère avait déjà augmenté le nombre de points additionnels accordés aux candidats francophones et bilingues dans le cadre du système Entrée Express. Les autorités travaillent aussi à la création d’un Programme des candidats des municipalités, sur le modèle du Programme des candidats des provinces, qui permet aux collectivités locales de choisir le profil de leurs immigrants en fonction de critères propres. En 2020, le Programme des candidats des provinces a ainsi été le deuxième vecteur (après Entrée Express) d’attraction d’immigrants économiques francophones au Canada, hors Québec. Enfin, le gouvernement a lancé l’initiative des communautés francophones accueillantes en soutenant financièrement 14 communautés à travers le pays pour qu’elles puissent offrir des services renforcés en faveur de l’intégration des immigrants francophones.
Le ministère canadien de l’Immigration multiplie également les activités de promotion pour attirer et recruter des candidats francophones. Début novembre, c’est la désormais la traditionnelle semaine de l’immigration francophone (10e édition déjà). A cette occasion, la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada organise le 9 novembre de 16h à 17h une web conférence d’information (inscription ici). Puis du 17 au 19 novembre, le Forum Destination Canada revient à Paris, en présentiel, avant de se rendre à Rabat les 22-23 novembre. Quelque 800 personnes par jour seront reçues dans ces deux villes. 3000 par jour seront accueillies en ligne les 28-30 novembre. Ceux qui n’auront pas été invités à participer sur place ou en direct on-line pourront accéder à la plateforme virtuelle du 2 décembre 2022 au 31 mars 2023 pour profiter des informations mises à disposition.
Le Québec n’est pas en reste - même si le gouvernement promet de limiter à 50 000 le nombre d’immigrants admis l’an prochain. François Legault peut déjà se targuer d’avoir accru le taux de francophones lors de son premier mandat : en 2020, la part des immigrants déclarant une connaissance du français à leur arrivée au Québec atteignait 60%, contre 51% en 2017. Après deux ans d’éditions virtuelles pour cause de pandémie, les Journées Québec reviennent à Paris en présentiel les 10 et 11 décembre prochain. Plus d’une centaine d’entreprises québécoises issues d’une douzaine de secteurs (de l’éducation à la santé en passant par les jeux vidéo, les technologies de l’information, le transport) seront présentes pour rencontrer des candidats, avec environ un millier de postes à la clé. Les inscriptions se font ici jusqu’au 20 novembre. Des webinaires d’information sont prévus les 26 octobre et 14 novembre à 18h. En 2023, les Journées Québec iront aussi au Maroc (février) et en Colombie (mars). Toute la programmation est ici. Pour préparer les Journées Québec, de nombreuses conférences en fonction des professions recherchées (travailleur social, infirmier, TIC, ingénieur, aide-soignant, technicien en radiologie) sont proposées en novembre par le ministère québécois de l’immigration, à retrouver sur cette page.
De son côté, l’initiative privée Québec en tournée a planifié une nouvelle mission de recrutement en France, pour les métiers de l’informatique, des technologies de l’information et de la construction. Elle fera étape dans trois villes, Lyon le 3 décembre, Marseille le 4 décembre et Paris le 6 décembre. Les inscriptions se font ici jusqu’au 1er décembre. Au vu du succès du Mois du Québec, qui a proposé des conférences dans 14 villes de France du 3 au 21 octobre, on peut s’attendre à un afflux de candidats. Pour accéder aux bons conseils de Christelle Colling, l’organisatrice du Mois du Québec et fondatrice d’Objectif Québec, on peut aussi écouter le podcast qu’elle propose désormais avec Jean-Michel Lhomme (l’auteur du podcast Fais tu Frette où les Québécois expliquent le Québec aux Français fraîchement débarqués).
Tout cela est bien beau. Mais l’un des grands enjeux pour accroître l’immigration francophone au Canada (et au Québec d’ailleurs), c’est de faciliter la transition entre permis temporaires (travailleurs, étudiants) et résidence permanente, comme le rappelle le rapport publié fin septembre. Car aujourd’hui, il entre chaque année au Canada deux fois plus de détenteurs de permis temporaires que de détenteurs d’un visa de résidence permanente : en 2021, 405 999 immigrants permanents ont été admis et dans le même temps, 444 800 titulaires de permis d’études et 415 000 titulaires de permis de travail temporaires sont entrés sur le territoire. Mais il n’est pas toujours simple, une fois sur place et alors que le permis temporaire arrive à échéance, d’obtenir la résidence permanente si l’on souhaite rester. Surtout, on voit bien “qu’il n’y a pas suffisamment de places pour permettre à tous les résidents temporaires d’obtenir la résidence permanente au cours d’une année donnée” reconnaît le ministère. Même si tous les détenteurs de visas temporaires n’ont pas forcément l’intention de rester au Canada… Et si tous ne sont pas francophones.
Vous l’aurez compris, cette question de l’immigration francophone n’est pas simple, d’autant que certaines pratiques au sein du ministère canadien de l’Immigration auraient conduit au rejet de demandes de visas d’étude de la part de ressortissants africains francophones, au prétexte d’une intention de rester au Canada après les études… alors même qu’Ottawa prétend justement faciliter cette transition ! Pas simple vous dis je…
Un double discours comme tu l’expliques très bien. La résidence temporaire est renouvelable mais les immigrants à restent avec un statut fragile et difficile pour créer des projets d’avenir.