C’est sans doute le cliché le plus universel qui soit sur le Canada. Et probablement le plus juste. Mais d’où vient ce rêve français d’une cabane au Canada ? De ces pionniers partis au 17eme siècle tenter l’aventure en Nouvelle-France ? Ou de ce texte écrit dans la première moitié du 20e siècle par une discrète poétesse et romancière française ? Mireille Brocey est décédée trop jeune (44 ans) pour qu’on ait le temps de l’interroger sur l’imaginaire qui a nourri sa déclaration d’amour à cette “cabane blottie au fond des bois”, “engourdie sous la neige”, “le seul bonheur pour moi”. Avec un titre simple comme une évidence : “ma cabane au Canada”.
Crédit : Françoise Togni (refuge à Petite Rivière Saint-François)
Un texte mis en musique par le compositeur Loulou Gasté en 1947 et interprété par Line Renaud : “ce fut un raz-de-marée”, a rappelé la chanteuse française dans une interview au journal Le Monde le week-end dernier. Deux ans plus tard, la cabane fait littéralement le Tour de France : en rondins, installée à l’arrière d’une Simca décapotable, conduite par Loulou Gasté, avec à ses côtés une Line Renaud qui chaque soir chante et remet le maillot jaune au vainqueur de l’étape. La cabane canadienne, déjà star des ondes, devient l’image la plus populaire de l’été 1949.
A l’heure où nous sommes toujours contraints de vivre repliés chez nous, ce rêve est plus que jamais vivace. Certains font des châteaux en Espagne, d’autres une cabane au Canada. Vous avez deviné dans quel camp je me place. Ma cabane à moi n’est pas née de la chanson de Line Renaud, mais plutôt d’une ritournelle de Felix Leclerc. Il y est question de bonheur aussi, d’un petit bonheur ramassé sur le bord d’un fossé qui m’a donné envie de regarder de l’autre côté de l’Atlantique, d’où venait cette chanson, et son auteur né à… La Tuque (ça ne s’invente pas, c’est bien une ville de la région de Mauricie).
Un voyage puissant
Drôle de coïncidence, c’est en 1948 que Félix Leclerc chante pour la première fois “Le p’tit bonheur”, au Théâtre du Gesu à Montréal, quand Line Renaud triomphe en France avec “Ma cabane au Canada”. De p’tit bonheur en train du Nord, me voilà plongée dans l’univers d’un poète qui avant de me faire rêver d’une cabane au Canada m’a intimé l’urgence d’explorer l’île d’Orléans, devenue son refuge, l’une des premières terres d’ailleurs à avoir été investie par les colons français au 17eme siècle.
Et puis, il y a eu “les yeux d’Emilie”, dans lesquels Joe Dassin, le plus nord-américain des vedettes populaires françaises, faisait se refléter la dureté de l’hiver canadien et l’avènement soudain du printemps. Un voyage puissant en quelques strophes sur les rives changeantes du Saint-Laurent, un appel à rejoindre le vieux Québec. Voilà comment se construit peu à peu un imaginaire, un rêve, l’envie d’un pays.
Battue par les vents
Mais je m’égare. Revenons à la cabane. A ce cliché qui n’en est pas un. Pour au moins deux raisons : parce que ces cabanes en bois, plus ou moins grandes, plus ou moins brutes, égayent de leurs couleurs vives les rivages de tous les lacs canadiens ; parce que les Canadiens eux-mêmes en rêvent, et n’imaginent pas leur vie sans les fameux “week-end au chalet”, que ce soit en hiver ou en été.
Des chalets encore davantage prisés depuis le début de la crise sanitaire : les spécialistes estiment que les prix de cette résidence secondaire typique du pays pourraient bondir de 15% cette année. Comptez un prix médian de 500 000 dollars (seulement 290 000 dollars au Québec) pour devenir propriétaire d’un tel havre idéal et se (re)connecter à la nature. Un immigrant devient un vrai Canadien le jour où il prête serment à la Reine… et où il a lui aussi vécu son expérience au chalet.
Mais il n’est pas forcément nécessaire de dépenser des mille et des cents pour s’offrir cette joie. Je me souviens de quelques jours dans une toute petite cabane blanche, à la pointe de la Gaspésie, dans le parc Forillon, avec une vue plongeante sur le St-Laurent qui devient mer. Devant nous, les falaises, l’océan et ses baleines, derrière nous la forêt, et au détour d’un sentier les traces d’un ours, puis la rencontre improbable, inespérée, stupéfiante avec une mère et ses petits. Je me souviens d’un autre séjour dans une cabane rouge au milieu de la forêt de l’Aigle, dans l’Outatouais, le long d’une rivière tranquille. Chaque jour, avant la tombée de la nuit, une biche venait s’y désaltérer sous nos fenêtres. Je me souviens encore de cette drôle de cabane battue par les vents à Havre aux Maisons, dans l’archipel des Iles de la Madeleine, où après avoir pédalé sur d’interminables cordons de dune, le plaisir était de se blottir près du poële en écoutant les voix de Radio Canada des Maritimes égréner les nouvelles locales.
La cabane au Canada, qu’elle soit en rondins ou en planches, c’est un abri de bois, des arbres autour, un plan d’eau pas très loin et surtout un état d’esprit : se mettre au diapason de l’environnement, observer les animaux, écouter les oiseaux, retrouver des gestes, pêcher, faire un feu, ces gestes étaient habituels quand la cabane n’était pas une parenthèse mais un mode de vie. Renouer avec les origines, en quelque sorte.
Et vous, quelle est votre cabane au Canada ? Si vous m’en partagiez vos meilleurs moments ? J’en ferais un florilège en guise de cadeau de printemps pour les fidèles d’Attache ta tuque !
A suivre cette semaine
Session d'information sur les études à l'Université francophone de Saint-Boniface (Manitoba), en ligne, mercredi 31 mars, 18h
Travailler au Québec, webinaire destiné aux Pvtistes, organisé par la Citim, du lundi 29 mars au jeudi 1er avril
Immigration, impact de la Covid-19, conférence en ligne organisée par la Citim, mardi 30 mars, 16h30, heure de Montréal
Un chalet en Estrie, acheté il y a dix ans mais que les gens du coin appellent encore la maison des Lemelin… Un chalet rabouté, dont certains murs intérieurs sont les anciens murs extérieurs, où les anciens comptoirs de cuisine sont maintenant dans la garde-robe d’entrée, dans lequel certains interrupteurs n’allument rien. On reconnait les vieux chalets du coin parce qu’ils ont tous au moins un mur fait des planches d’un ancien camp de vacances démoli il y a longtemps. Un vieux chalet dont on doit déneiger le toit plusieurs fois en hiver pour éviter qu'il s'écroule. Si confortable, si chaleureux, tellement tout croche Mon petit paradis.
Quel joli texte! Bien apprécié de la québécoise que je suis, qui a grandi avec le ptit bonheur! Emigrée en France ...par amour... je vais régulièrement me ressourcer à l'île d'Orléans, mais aussi 2 séjours aux iles de laMadeleine, des périples sur la côte nord et un peu partout, et surtout "faire le tour des maisons"...pour retrouver amis et famille. Les québécois ont le lien fort!!
J'aime suivre vos chroniques. Je me replonge, me tiens au courant, apprends des choses. Vous avez une jolie plume pour les faire et une bonne analyse. MErci!