Au Canada, le mois d’avril est celui d’un rendez-vous politique important : la présentation devant le parlement à Ottawa du budget fédéral annuel par le ministre des Finances. La tradition veut que, pour cet exercice très attendu, le dit ministre s’achète des souliers neufs. Histoire de ne pas se prendre les pieds dans le tapis lors de son discours à la Chambre des Communes ? Ou de démarrer l’année fiscale du bon pied ? En fait, on n’en sait trop rien.
On sait seulement que cette tradition est apparue pour la première fois en 1960, très exactement le 31 mars 1960 quand le ministre fédéral de l’époque, Donald Fleming s’est chaussé de neuf pour le dépôt de son budget. Mais soixante-ans plus tard les motivations de cet achat restent encore obscures. Ce qui n’a pas empêché la plupart des successeurs de Fleming de reprendre le geste à partir de 1966 et d’entraîner leurs homologues des provinces à faire de même, notamment au Québec (cela devait porter chance). Le très sérieux site du Parlement fédéral qui recense chaque ministre et chaque présentation du budget depuis la première législature en 1867 précise d’ailleurs à chaque fois s’il y a eu ou pas achat de chaussures neuves !
Toujours est-il que chaque année en mars, les médias canadiens scrutent avec attention la paire choisie par le ministre fédéral en titre (même chose chez les médias québécois pour le ministre des Finances de la province). Car les chaussures du messager peuvent donner une indication sur le message. Modèle “made in Canada” ou modèle désigné au Canada mais fabriqué à l’étranger, modèle issu d’une maison classique ou conçu par une start-up, chaussures de ville pour un budget conservateur ou de sport pour courir plus vite vers l’équilibre, voire bottes pour ne pas couler, chaussures anciennes mais semelles neuves à l’heure de l’austérité, le pays a déjà connu toutes les situations.
Crédit: Chrystia Freeland via Twitter
Toutes, sauf une : en 2021, le ministre fédéral des Finances s’est acheté… des escarpins. Et pour cause, le ministère est pour la première fois dans l’histoire du pays dirigé par une femme, Chrystia Freeland. Cette quinqua originaire de l’Alberta a d’abord été journaliste (comme quoi le métier mène à tout) avant d’être élue députée libérale en 2013. Réélue en 2015, lors de la victoire de Justin Trudeau, elle se voit confier par le nouveau Premier ministre canadien le portefeuille délicat du Commerce international.
Car dès 2016, Ottawa doit renégocier avec Washington, sous la férule de Donald Trump, le traité de libre-échange de l’Amérique du Nord (Alena), qui implique le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Des négociations particulièrement difficiles et tendues, qui manqueront d’échouer plusieurs fois. Devenue ministre des Affaires étrangères en 2017, Chrystia Freeland réussira finalement à signer un texte satisfaisant pour le pays. Elle sera aussi très impliquée dans les discussions pour l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta). Lors de la réélection de Justin Trudeau à l’automne 2019, elle s’impose comme le bras droit du Premier ministre qui la nomme vice-première ministre. A l’été 2020, à la faveur de la démission du ministre fédéral des Finances, elle devient la première femme à assumer ce portefeuille, en pleine crise sanitaire et donc économique.
Le 18 avril 2021, veille de la présentation de son premier budget, Chrystia Freeland a tweeté une vidéo montrant ses nouvelles chaussures : d’élégants escarpins noirs signés Zvelle, une marque lancée en 2015 à Toronto par Elle AyoubZadeh, une jeune femme immigrante d’origine iranienne. “Walk how you want” (“Marche comme tu le veux”, à plus de 300 dollars la paire quand même) est la signature de cette entreprise qui dessine ses modèles au Canada et les fait essentiellement fabriquer en Italie.
Une politique économique féministe
En présentant son acquisition, Freeland a donné un autre indice - assez explicite - aux médias canadiens : elle portait un tee-shirt noir sur lequel était inscrit “je parle féministe” (agrémenté d’un collier avec double rangée de perles, peut-être pour atténuer le caractère offensif du message ?).
Le 19 avril, les députés et citoyens canadiens n’auront donc pas été étonnés de découvrir un budget axé sur les emplois, la croissance et la résilience, avec une attention toute particulière portée aux femmes, qui figurent “parmi ceux que la COVID a le plus affectés”, au côté des jeunes, des travailleurs à faible revenu et des petites et moyennes entreprises, “quatre catégories qui se croisent souvent”, a rappelé la ministre.
“La COVID, a-t-elle expliqué, a jeté une lumière crue sur une réalité que les femmes connaissent depuis longtemps: sans service de garde d’enfants, les parents –habituellement les mères –ne peuvent pas travailler. La fermeture de nos écoles et de nos garderies a réduit la participation des femmes à la population active à son plus bas niveau depuis plus de deux décennies.” Le budget du gouvernement fédéral prévoit donc un investissement de 30 milliards de dollars sur cinq ans pour mettre en place dans tout le pays un système de garderie à 10 dollars par jour, inspiré du (très envié) modèle québécois. “C’est une infrastructure sociale qui stimulera l’emploi et la croissance. C’est une politique économique féministe. C’est une politique économique très sensée” a martelé Chrystia Freeland.
D’autres dispositifs en faveur des femmes sont prévus, par exemple pour soutenir les entrepreneures, renforcer la diversité dans la gouvernance des entreprises, accélérer la mixité de certain métiers qualifiés, ou encore pour créer un Institut national de recherche sur la santé des femmes.
Rebondir plus fort
Evidemment, le budget fédéral comporte bien d’autres mesures, soutien aux travailleurs sans emploi et aux jeunes, plan de sauvetage pour les petites et moyennes entreprises, investissement dans les technologies numériques et vertes, programme de logements et de transports, etc. Au total, 100 milliards de dollars de dépenses sont prévues pour les trois prochaines années, pour permettre à l’économie canadienne - qui était en pleine forme avant la crise sanitaire - de redémarrer au plus vite et au mieux. Ce qui se traduira par un déficit supérieur à 265 milliards sur ces trois années. Et à ce stade aucune perspective de retour à l’équilibre. Mais la gardienne des finances du Canada assure que le pays peut se le permettre car les taux d’intérêt sont faibles : ne pas faire ces investissements serait compromettre la reprise, a-t-elle expliqué en substance.
Avant de conclure : “Nous nous rendrons au bout de cette lutte contre la COVID-19. Nous travaillerons fort. Nous rebondirons. Et nous atteindrons des sommets, non seulement ceux où nous étions auparavant, mais de nouveaux sommets encore plus hauts”. Un message que seule une ministre perchée sur des escarpins pouvait délivrer avec autant de conviction.
A suivre cette semaine
Mobilité jeunesse, atelier d’information en ligne organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse, lundi 26 avril, 15h
Rencontre virtuelle de la coopération franco-québécoise, en ligne, mardi 27 avril, 15h
Les normes de travail au Québec, atelier en ligne organisé par la Citim, mercredi 28 avril, 9h30 heure de Montréal
Session d’information sur les études à l’Université de Saint-Boniface (Winnipeg, Manitoba), en ligne, mercredi 28 avril, 18h
Séance d’information sur les Journées Québec France, organisée par le minisère québécois de l’Immigration, en ligne, jeudi 29 avril, 14h30
Salon virtuel des franchises canadiennes, jeudi 29 avril, 10h-15h, heure de Montréal
Francophones, immigrez hors du Québec, séance d’information en ligne organisée par le cabinet Immétis, jeudi 29 avril, 20h